A Paris je pourrai écrire mieux. Encore une demi-heure, et le train sera à Paris et je pourrai écrire mieux. Ça serait quand même bizarre, si je ne pouvais pas écrire mieux à Paris. A Paris je pourrai écrire beaucoup mieux. A Paris tous ont depuis toujours beaucoup mieux écrit. Hemingway a beaucoup mieux écrit à Paris qu’avant quand il écrivait chez lui dans son Middlewest. Dans ce café de la Place Saint-Michel à Paris, Hemingway pouvait écrire beaucoup mieux. Gertrud Stein déjà a prouvé à tout le monde qu’on peut écrire beaucoup mieux à Paris. A Paris il faut seulement respirer profondément, puis il est tout de suite clair qu’on peut écrire mieux à Paris. Hemingway a écrit chaque matin une histoire dans le café de la place Saint-Michel à Paris. Je vais aussi me chercher un café à Paris et écrire chaque jour mieux. Là-bas je vais écrire une histoire qui sera meilleure que tout ce que j’ai jamais écrit. A Paris tout le monde sans exception a mieux écrit. George Orwell a aussi mieux écrit à Paris. Günter Grass aussi a mieux écrit à Paris. Depuis qu’on a trouvé sous un lit dans un appartement dans une arrière-cour un manuscrit du Tambour, chacun sait que Günter Grass a pu très bien écrire à Paris. Monsieur Nizon aussi a mieux écrit à Paris. A Paris tout le monde peut écrire mieux. J’écrirai aussi beaucoup mieux à Paris. A Paris on écrit mieux. A Paris tout s’écrit mieux. Même Henry Miller a mieux écrit à Paris et Anaïs Nin n’a jamais aussi bien écrit qu’elle a écrit à Paris. En anglais particulièrement, tous ont pu écrire mieux à Paris. En chinois, le meilleur sans exception a été écrit à Paris. Et depuis que César Vallejo et Pablo Neruda ont écrit à Paris, on peut aussi mieux écrire en espagnol à Paris. Monsieur Vargas Llosa a écrit beaucoup mieux à Paris qu’au Pérou. Ce que Monsieur Vargas Llosa, alors qu’il travaillait le matin pour une station de radio, a écrit l’après-midi et le soir à Paris, Monsieur Vargas Llosa n’aurait nul part pu l’écrire aussi bien qu’il l’a écrit à Paris. Monsieur Vargas Llosa n’a plus jamais écrit aussi bien qu’à Paris. Gabriel Garcia Marquez n’a pas écrit Cent ans de solitude à Paris, mais il aurait encore beaucoup mieux écrit Cent ans de solitude à Paris. Et Joseph Roth! Et Walter Benjamin! Et Tucholsky! Et René! Et Robert! Et Sherwood Anderson! Et Faulkner! Faulkner ne s’est pas seulement laissé pousser la barbe à Paris! Faulkner aussi, à Paris et après Paris, a écrit encore mieux qu’avant Paris. Et le jeune Diggelman qui allait sur les boulevards et qui disait ses textes dans un enregistreur à cassettes, n’a plus jamais écrit aussi bien que dans ce Paris où déjà ces Messieurs Sartre et Camus et toutes ces dames avec tous ces beaux noms ont mieux écrit. A Paris ils avaient seulement besoin d’aller dans les rues et tous pouvaient déjà écrire mieux. J’écrirai aussi beaucoup mieux à Paris. Après tout Beckett a écrit En attendant Godot à Paris. A Paris Beckett a mieux écrit même en français. Qu’Eugène Ionesco ait écrit à Paris beaucoup mieux qu’il avait écrit avant Paris, est incontestable. James Joyce à Paris jusqu’à sa mort a écrit toujours mieux. Et Rainer Maria Rilke, comme il a mieux écrit à Paris! Nul n’a écrit à Paris mieux que Rainer Maria Rilke. A peine Rainer Maria Rilke à Paris a-t-il un petit peu traîné au zoo qu’il a tout à coup écrit la panthère:

 

Quelquefois seulement le rideau des pupilles

sans bruit se lève. Alors une image y pénètre,

court à travers le silence tendu des membres –

 

et dans le coeur s’interrompt d’être.

 

C’est ce que Rainer Maria Rilke a écrit à Paris. Une chose pareille on ne peut l’écrire qu’à Paris! Je vais aussi beaucoup, beaucoup mieux écrire à Paris. A Paris tous sans exception ont pu écrire mieux.

 

Traduit de l’ Allemand par Noëlle Revaz et Michael Stauffer

 

(Traduction de Rilke: Claude Vigée)